De ma longue expérience de “peintre en bâtiment”
et de conseillère en couleur, il me reste quelques
certitudes bien ancrées. Comme je me méfie des
certitudes, je les appelle mes “recettes de cuisine”.
J’ai néanmoins remarqué que personne n’avait
trop envie de les traiter avec une pareille désinvolture
et qu’elles suscitaient même un certain intérêt.
En voici donc une petite série, … à appliquer
seulement si elles vous plaisent.
Il est préférable de choisir une couleur à la lumière du jour plutôt qu’à la lumière artificielle.
En effet, une couleur qui est belle le jour est généralement belle le soir aussi,
tandis que l’inverse est presque toujours faux.
De plus, la lumière artificielle peut être adaptée, ce qui n’est évidemment pas le
cas de la lumière du jour.
“Il ne faut pas peindre une pièce sombre dans une couleur sombre”, disent-ils …
Mais peindre une pièce sombre en blanc ne l’a jamais rendue claire,
le plus souvent elle devient surtout plus froide et triste.
Alors, je préfère me résigner à ce qu’une pièce soit sombre en développant
son ambiance à partir de son identité,
plutôt que de tenter en vain de la rendre plus claire contre sa nature.
Je préfère peindre le plafond de la couleur des murs, qu’il soit bas ou haut.
Car ce qui importe le plus dans l’harmonie d’une pièce,
c’est le rapport entre les quantités de surface des différentes couleurs.
Comme les fenêtres, les portes et le sol envahissent une partie de l’espace,
la couleur des murs n’est souvent pas assez dominante, elle n’habite pas assez l’espace.
Si le plafond est encore d’une autre couleur, même neutre, l’ensemble est chahuté,
une addition de petites surfaces.
Et puis, finalement, ce n’est pas en attirant le regard par une autre couleur
qu’on pourra corriger un plafond trop haut ou trop bas !
Sauf si je souhaite souligner l’importance d’une porte, je préfère la peindre dans une teinte neutre.
Un gris qui tend vers la couleur des murs pour rester neutre,
en contrant la règle qui veut qu’une couleur placée au milieu d’une autre
vire à la couleur complémentaire de cette dernière,
ce qui reviendrait à des châssis roses au milieu du vert, par exemple…
A PROPOS DE L’ ART DE FAIRE JURER LES COULEURS :
Ma mère se moquait toujours des « élégantes de province » qui ne sortent pas sans les gants assortis au sac et au chapeau. Je ne pense pas un seul instant à l’imiter et j’espère même que ce genre de propos est démodé. Par contre, ceci m’est resté : je n’aime pas non plus les gants assortis au sac et au chapeau. Ces considérations assez frivoles cachent des idées plus profondes qui sont le produit d’une longue pratique, et c’est pourquoi sans doute j’ai tendance à les considérer comme des lieux communs. Mais comme presque chaque confrontation me montre que ces lieux ne sont pas si communs qu’il m’y paraît, ils méritent de s’y arrêter.
J’ai construit les collections de couleurs, carrelages, peintures, velours, voile et organdi, lin… sans me soucier de les « assortir ». Ce sont des matières très différentes les unes des autres et chacune a sa logique. De plus, leur usage est souvent très différent, ce qui les met dans une position différente par rapport à la lumière. Par exemple, le lin sera principalement utilisé comme rideau et il faut donc que la couleur reste intéressante à contre-jour, l’organdi sera souvent utilisé pour sa transparence et le paysage doit rester supportable derrière ce voile de couleur, la peinture doit pouvoir être utilisée sur les murs et les plafonds donc en surfaces importantes sans pour autant être trop présente,…. Les raisons de ne pas transposer un choix de couleur d’une matière dans une autre sont très nombreuses et ont donc justifié une approche spécifique à chaque nouvelle matière. Il se pourrait même que certaines de ces couleurs jurent un peu entre elles.
Certes, j’ai toujours cherché à trouver une harmonie globale entre les différentes collections, mais je n’ai jamais écarté une couleur qui me semblait exquise au profit de l’harmonie, parce que j’utilise souvent ce que j’appelle une « tension » entre les couleurs plutôt que de provoquer en disant tout simplement qu’elles jurent. Car, comme pour de nombreux autres aspects de la vie, tout est question de proportion. Trop de couleurs en harmonie lassent et écrasent l’imaginaire, alors qu’introduire une légère tension réveille l’intérêt. Il ne me semble donc pas une bonne recette d’assortir les gants au sac et au chapeau. Et de toute manière, en ce qui concerne les lieux de vie qui sont notre propos, la vie justement se charge généralement très bien d’introduire la tension dans un univers d’harmonie trop artificiellement composé par les décorateurs ou les lecteurs très assidus de revues de décoration.