LA POTERIE DE FèS :
La tradition pèse certainement plus lourdement au Maroc que dans bien d’autres pays. Elle régit les comportements autant que le cadre de vie, et même si tout change comme ailleurs, la présence de cette pensée parfois archaïque structure bien des aspects, des plus anodins aux plus fondamentaux. La pérennité des habitudes alimentaires a permis par exemple de conserver de nombreuses formes de céramiques domestiques. La poterie de Fès est une illustration parfaite de cet état d’esprit : elle est toujours produite exactement de la même façon depuis des temps qu’il est difficile de dater hors des techniques les plus sophistiquées, tellement elle se reproduit toujours à l’identique. Pour nous qui vivons dans un environnement d’objets complètement industrialisés, le contraste est énorme et donc attirant. Alors j’ai cherché à adapter aux carrelages la technique et les thèmes de la poterie peinte de Fès, transposition que les potiers eux-mêmes n’avaient pas vraiment exploitée jusqu’ici.
Je n’ai donc pas pu travailler d’après des modèles de carrelages, j’ai improvisé dans les limites d’une thématique ancestrale dont j’ai puisé les sources dans les musées, en réorganisant les motifs selon la logique formelle du carrelage qui est très différente de celle d’une poterie. Ces motifs étaient si familiers aux potiers que la transposition s’est passée sans difficulté. Le résultat est donc totalement inédit, tout en étant profondément ancré dans la culture traditionnelle. On peut évoquer les carreaux de Delft ou les azulejos portugais, en dépit d’une identité mauresque très affirmée dans sa composante géométrique notamment. C’est qu’il s’agit d’une culture populaire, d’un artisanat plus ou moins savant selon les cas, mais qui est toujours basé sur l’infinie répétition des thèmes. Cependant et paradoxalement, une forme de liberté d’écriture de chaque artisan s’y exprime en toute modestie, avec souvent un humour et une fraîcheur candide qui semble nous adresser un sourire.