Je peins les carreaux à la main seule, car c’est une pratique qui se situe entre l’art et l’artisanat,
comme une sorte de calligraphie dont l’écriture est identifiable et unique.
Une pratique que j’ai sans doute reçue en héritage puisque mes parents créaient ces carreaux en 1947
pour le bar de l’hôtel Métropole à Bruxelles.
Il s’agit d’une création qui doit rester spontanée, il n’y a aucun repérage préalable
mais une libre interprétation sur la base d’un projet très schématique.
Et ça doit rester comme cela, pour que le plaisir de le peindre subsiste car il se voit toujours dans le résultat.
On est donc loin du travail à la chaîne en usine …et de la production de masse.
Depuis mon enfance, jusqu’à un grand décor aujourd’hui disparu créé pour l’Amadeus à Bruxelles, …
… je poursuis, dès que j’en ai le temps, les mêmes chimères …
… parfois inspirées par les carreaux de Delft …
…ou par des fonds marins imaginaires, …
… ou même par le geste sage et automatique d’une ouvrière qui peint des assiettes, …
… si proche finalement de mes élans calligraphiques. …
Bref, prête à aller partout où m’emporte ma fantaisie et le plaisir de tenir un pinceau en main.
L’IMPENSÉ :
L’humilité est créative. D’abord parce qu’elle permet de laisser libre cours à l’incontrôlé, l’impensé.
Et, au-delà même de l’intuition, à un mystère qui dépasse le chercheur.
En exécutant presque machinalement le geste répétitif de l’artisan comme on tourne un moulin à prière, il peut arriver
que surgisse ce qui dépasse l’entendu.
Et c’est exactement ce que je recherchais quand après tant d’années passées à inventer des objets et des lieux, à les dessiner
…pour les faire réaliser par d’autres, à réfléchir sur la manière de dialoguer avec cet autre,
de tenter de prévoir les problèmes d’exécution … il m’est venu le besoin irrépressible de reprendre le pinceau.
Matérialiser moi-même un projet, directement sans personne pour l’interpréter.
Mais comme un retour à l’innocence et la liberté de l’enfance.
D’abord, je voulais retrouver le geste automatique de l’artisan qui peint des bouquets de fleurs sur les pots en quelques coups
de pinceaux rapides toujours recommencés… encore le moulin à prière !
Et travailler sans repère pour que chaque légère différence fasse vibrer l’ensemble
loin de la répétition mécanique (les « Primula Arborea »).
Ensuite, travailler comme une calligraphie, en signes vifs glissés sur la surface lisse du carreau (les « Nuages Chinois »).
Enfin, retrouver à ma manière l’aimable insouciance des antiques carreaux de Delft, traiter des sujets anodins,
animaux chimériques ou non …(Zelliges peints à la main), mais toujours dans la rapidité.
Liberté relative, tempérée quand même par les exigences du passage par le feu.
Extrait de « L’impensé » fascicule 2 du livre
“By Agnès Emery Par Agnès Emery”